Les rôles biologiques oubliés de l’arbre vivant.

 

Nous savons bien sûr tous que l’arbre capte du co2, sans forcément savoir que c’est un rôle essentiel pour tous les êtres vivants de cette terre. Avant de parler de ces rôles biologiques, je voudrais commencer par ce qui nous concerne directement, puisque c’est ce qui nous pousse officiellement à utiliser le bois comme combustible : le climat. L’arbre influe sur le climat à travers le cycle du co2 comme nous le savons, et aussi, et peut être même surtout, à travers le cycle de l’eau.

Le rôle de l’arbre sur le cycle de l’eau :

Comme tout être vivant, l’arbre contient beaucoup d’eau. Cette eau remplit ses tissus et lui sert de moyen de transport interne de nutriments, à travers la sève de l’arbre qui y circule de l’extrémité des racines à la pointe des feuilles. Cette eau a aussi un rôle de régulateur de température : s’il fait trop chaud, l’arbre doit se protéger de la surchauffe. Pour cela, la méthode de l’arbre est similaire à la nôtre : il transpire. Ses feuilles possèdent une multitude de pores, les stomates, qui s’ouvrent et se ferment au besoin. Et le principe de physique qui est exploité ici est le même que dans la quasi totalité des climatisations : il utilise la chaleur latente de vaporisation, cette énergie dont un liquide a besoin pour s’évaporer, celle qui nous fait du frais quand on se mouille en été.

Nous avons tous fait le constat : en forêt, la température est idéalement agréable en été, même si la chaleur alentour est insupportable. Déjà, localement, l’arbre en forêt montre sa puissance de régulation de son propre climat.

C’est tout autant spectaculaire en ville, même si les arbres sont moins nombreux qu’en forêt, parce que l’arbre y exprime mieux un rôle supplémentaire, le troisième de ses trois effets essentiels (1). D’abord, il fait de l’ombre. Un grand arbre est un parasol géant. Ensuite, il y a le rafraîchissement par l’évaporation d’eau. Le troisième, est qu’il protège le sol du soleil. Cette question est plus aiguë en ville, parce que les sols sont artificialisés. Les parties bétonnées et goudronnées exposées au soleil fonctionnent comme des capteurs/stockeurs d’énergie solaire : elles absorbent la chaleur grâce à leurs couleurs sombres et la stockent dans leur masse . Marcher pieds nus sur du goudron au soleil peut être une cuisante expérience, à tous les sens du terme.

Ainsi l’arbre boit par ses racines et transpire par ses feuilles, ce faisant il peut mettre de grandes quantités d’eau dans l’atmosphère. Et ce d’autant plus qu’il est grand arbre. D’abord grâce à sa surface d’échange avec l’extérieur : si on cumule racines, feuilles et bois, cette surface est de 200 ha pour un grand arbre. Ensuite parce qu’un grand arbre a pu développer des racines profondes, capables d’aller encore chercher de l’eau quand il n’y en a plus depuis belle lurette en surface.

Cette eau, qui a absorbé de la chaleur en s’évaporant là où il fait chaud, la restitue quand elle se condense, c’est à dire quand elle redevient liquide, et là où il fait frais. Le bilan s’équilibre, n’empêche que ça a eu au passage plusieurs effets.

D’abord cela limite les écarts de température entre le jour et la nuit. Dans le désert, là où il n’y a pas d’eau, la température peut atteindre 50° le jour et devenir négative la nuit.

Ensuite, cela pondère les écarts de température d’une zone à l’autre. Entre les plaines et les montagnes, par exemple, ou encore entre le sol et le ciel.

Et dans le ciel, quand l’eau se condense, elle y fait des nuages. Ces nuages ont un effet énorme : Ils font de l’ombre au sol, ce qui est clairement et directement un rôle de refroidissement du climat.

Cette formation de nuages associée aux arbres n’est pas le seul fait de l’eau émise : les arbres, plus particulièrement les conifères, émettent des terpènes, qui s’élèvent dans le ciel (2). Arrivés dans les hautes couches de l’atmosphère, ces terpènes aident à la formation de gouttelettes d’eau, en servant de micro-supports sur lesquels l’eau peut se condenser. Les nuages seraient ainsi deux fois plus épais au dessus des zones boisées.

Et ces nuages, à leur tour font de la pluie. Cette pluie permet à la végétation de pousser, cette végétation contribue à remettre de l’eau dans l’atmosphère… Et la boucle continue. Ce rôle est essentiel. Il a été démontré que sans la forêt, les terres continentales, situées à plus de 600 km des côtes, seraient des déserts. Sans les arbres, qui jouent le rôle de pompe, l’eau n’y arriverait même pas (3).

L’arbre sait mettre de l’eau dans l’atmosphère, et sait aussi aider le sol à faire ses réserves d’eau. En retour, cette réserve sera utilisée pour la transpiration des arbres, en particulier les jours de fortes chaleurs.

D’abord, l’arbre ralentit l’arrivée d’eau sur le sol. Cela permet à l’eau de mieux pénétrer, plutôt que de s’échapper par ruissellement. Et du coup cela protège le sol de l’érosion.

Une fois dans le sol, elle y est mieux retenue : les apports de matière organique de l’arbre, composés par les feuilles et le bois mort, permettent au sol d’augmenter sa capacité de rétention en eau. D’abord parce que cette matière carbonée, riche en énergie, favorise une vie dans le sol qui le rend poreux, par exemple grâce aux galeries des vers de terre. Donc l’eau pénètre ce sol plus facilement. Et ensuite parce qu’un sol riche en carbone est une meilleure éponge. Cette eau absorbée peut ainsi être stockée en plus grosses quantités.

Ce rôle de l’arbre sur le sol est toujours perturbé par la sylviculture, et est particulièrement mis à mal quand elle est faite par coupes rases : l’érosion a libre cours et les pertes en carbone du sol sont considérables. La suppression d’arbres, même partielle, modifie l’équilibre du sol, en particulier augmente sa température. Et le sol libère du co2 issu de la matière organique qu’il contient. Il faut savoir que les deux tiers du carbone stocké en forêt sont sur et dans le sol (4). Que ce relargage de co2 par le sol puisse être équivalent à celui libéré par la combustion des arbres est tout à fait cohérent (5).

En résumé, supprimer des arbres cause des pertes multiples pour le climat.

En coupant des arbres, on supprime des climatiseurs de la planète.

En prélevant du bois, non seulement on prélève ce qui devait renouveler le stock de matière organique du sol, mais en plus on accélère la décomposition de la matière organique qui est en place. Cela appauvrit les sols en matière organique, avec deux effets : cela augmente le co2 atmosphérique, et aussi diminue les réserves d’eau du sol. Moins d’eau dans le sol, c’est moins d’effet refroidisseur des arbres sur le climat.

Le rôle de l’arbre sur la vie :

Ces rôles sont probablement secondaires pour la question du climat qui nous sensibilise. Ils sont pourtant fondamentaux pour la vie sur terre.

La question que l’on ne se pose pas assez est « pourquoi l’arbre capte t-il le co2 ? »

Tout d’abord pour se nourrir lui même. À travers la photosynthèse, il fabrique du sucre, plus exactement du glucose, qui lui sert à alimenter ses fonctions vitales. Comme tout être vivant, il consomme de l’énergie pour vivre, et comme tout être vivant, il utilise pour cela l’énergie contenue dans le carbone. La première propriété fondamentale du carbone est d’être un vecteur chimique d’énergie, il est capable d’en accumuler dans ses liaisons chimiques et de la restituer quand il se lie à nouveau à de l’oxygène, et qu’il retourne sous forme de co2. Ainsi, quand l’arbre capte du co2, le « dope » en énergie, et avec cela il vit, tout simplement.

En deuxième lieu, il en fait sa structure. Par exemple la cellulose, constituant principal du bois, est un polymère du glucose, c’est à dire un assemblage savant de sucre.

Parce que la deuxième propriété fondamentale des atomes de carbone est de pouvoir s’assembler entre eux avec des liaisons très solides. Avec une ultime qualité : le carbone est un élément chimique très léger. Ainsi le bois est une fibre de carbone naturelle, un matériau aux propriétés extraordinaires : solide et remarquablement léger. Autre faculté remarquable des arbres à laquelle nous devons humilité, c’est qu’ils fabriquent cette fibre de carbone à la température ambiante, à partir des éléments qu’ils ont sous la main, ou plutôt sous leurs feuilles, et uniquement avec des matériaux entièrement recyclés. Nous sommes loin d’une telle performance écologique avec la fibre de carbone que nous savons fabriquer.

La conséquence de cette structure du bois à base de sucres, nous ne la connaissons que trop : le bois est plein d’énergie. Nous ne savons pas utiliser cette énergie autrement qu’en brûlant le bois, notre appareil digestif n’est pas taillé pour. Ce n’est pas le cas d’une multitude de créatures, de la bactérie à l’insecte en passant par le champignon, qui s’en délectent. Et une kyrielle d’autres se nourrissent des premières : le bois est le départ d’une chaîne alimentaire. Ainsi, tout prélèvement de bois en forêt se fait au détriment de cette chaîne de vie, en lui causant une pénurie alimentaire. Tout bois prélevé, même vivant, c’est du futur bois mort. Et dans le bois mort de nombreux animaux y vivent, oiseaux et insectes notamment. Chez eux, on provoque une crise du logement.

Même si le bois est composé essentiellement d’éléments pris dans l’atmosphère, éléments qui sont d’ailleurs principalement considérés comme des polluants pour nous, il y en a une petite partie qui sont prélevés dans le sol. L’arbre ne peut importer sa nourriture du bout du monde comme nous faisons, même si on sait aujourd’hui que la forêt est organisée pour faire circuler ces nutriments dans le sol sur des longues distances. Et ces éléments, comme l’azote, le potassium, le phosphore, ou encore ces oligo-éléments, présents en quantité infime mais indispensables, comme le bore, le manganèse, le molybdène sont pris dans le sol et y retournent, dans le cycle naturel . Seulement voilà, quand on exploite la forêt, ces nutriments partent avec la récolte, ils sont exportés… et n’y reviennent jamais. Il en résulte un appauvrissement du sol, qui peut aller jusqu’à la carence quand l’élément vient à manquer. Par chance, les parties de l’arbre qui concentrent ces nutriments sont les feuilles, puis les petites branches, là où se situe « l’usine » qui fait fonctionner l’arbre. Ce sont les parties qui ont le moins de valeur économique, et il est d’usage de les laisser au sol après une récolte. Cela minimise grandement l’appauvrissement du sol au fil des récoltes.

Cet appauvrissement est pourtant inévitable, même en ne récoltant que les gros bois.

Et sur les sols pauvres, il est extrêmement dommageable de récolter les menus bois. Cependant, aujourd’hui le bois d’énergie réduit l’arbre en miettes, ce qui offre la possibilité d’exploiter les menus bois, et les dérives sur cette règle d’or de la sylviculture sont déjà fréquentes.

Peut on prélever sur la forêt sans conséquences ?

Non, quel que soit l’usage du bois, aussi « noble » qu’il soit à nos yeux, couper et prélever des arbres est lourd de conséquences invisibles à nos yeux, pourtant complètement logiques en l’état de nos connaissances. Et en matière d’arbres, nos connaissances évoluent à une vitesse foudroyante, il est fort probable que nous trouverons encore de nouvelles séquelles à la sylviculture.

Pour les rôles sur le vivant, sur le sol, sur le climat, la sylviculture est invariablement un appauvrissement, qu’elle qu’en soit la méthode. Même si elle n’est pas dévastatrice comme les coupes rases, elle n’est en tous cas jamais neutre. Ces conséquences sont valables pour le bois d’œuvre comme pour le bois d’énergie.

Le bois d’énergie rajoute un double gâchis à ce tableau : en quelques instants, il réduit à néant des décennies de stockage de carbone et un matériau hors pair.

Depuis plus d’une cinquantaine d’années, le monde subit une déforestation sans précédent, et le lien entre cette déforestation et l’actuel dérèglement climatique semble ignoré.

Regarder le dérèglement climatique à travers le seul carbone, c’est le regarder avec des œillères. Les rôles biologiques des arbres sont très certainement bien plus importants sur le climat que le seul co2 qu’ils stockent, en particulier les rôles des grands arbres.

Les grands arbres, ce sont précisément ceux que l’on coupe en sylviculture, et de préférence quand ils sont en pleine santé, sinon leur bois ne vaudrait plus rien. Il y a un parfait antagonisme entre les intérêts climatiques d’un arbre et ses intérêts économiques.

Ainsi, de la même façon qu’on évalue le potentiel de réchauffement d’un gaz en équivalent co2, tous ces effets d’un arbre sur le climat devraient pouvoir être calculés en potentiel de refroidissement global, et se comptabiliserait en équivalent co2.

Et là, il nous sauterait aux yeux ce qui aurait toujours dû rester évident : on ne peut sauver le climat en coupant des arbres.

NOTES :

(1) Comment les arbres rafraîchissent les villes en été, article de l’European Water Movement http://europeanwater.org/fr/ressources/rapports-et-publications/637-comment-les-arbres-rafraichissent-les-villes-en-ete

(2) David ADAM, « Chemical released by trees can help cool planet, scientist find » The Guardian, 31 octobre 2008.

https://www.theguardian.com/environment/2008/oct/31/forests-climatechange

(3) Étude de Anastassia Makarieva et Victor Gorshkov « Biotic pump of atmospheric moisture as driver of the hydrological cycle on land, Hydrology and Earth System Sciences Discussions » Copernicus Publications

Et aussi https://www.theguardian.com/commentisfree/2015/oct/06/fight-climate-change-forests-vital-weapon

(4) Calcul sur la base de chiffres pris sur le site de l’ONF :

http://www.onf.fr/gestion_durable/++oid++453/@@display_advise.html

59 T carbone /ha dans la biomasse, dont 75 % bois fort et branches soit 59 x 0,75 = 44 Tc/ha dans la partie récoltée, et 14 dans racines, feuilles, nécromasse, non récoltés et qui sont sur et dans le sol.

et 79 Tc/ha dans le sol. Aprés récolte, il reste 79 + 14 Tc/ha : 93 Tc/ha.

93 Tc restent, 44 sont récoltés (et encore, les petites branches, qui pèsent 15 % du bois aérien, ne devraient pas être récoltées) c’est donc un tiers du carbone total qui est exporté(44/(93 + 44)= 0,32).

(5) Calcul fait par Peter Wolleben « La vie secrète des arbres » exprimé en ces termes : « pour chaque bûche que vous brûlez dans le poêle familial, dehors, le même volume de co2 est libéré dans l’atmosphère par les sols forestiers lorsque de nouvelles espèces s’y développent »